EvènementsNews

Entretien avec Jonathan Le Pautremat, champion de France de torréfaction 2025.

jonathan le pautremat

Début Septembre 2025, la monde du café couronnait son nouveau champion de France de torréfaction : Jonathan Le Pautremat. Véritable touche-à-tout et expert reconnu du specialty hexagonal, Jonathan nous livre ses impressions post-compétition, tout en se préparant pour la prochaine échéance: le mondial de la discipline en Juin 2026, à Bruxelles.

Jonathan, pour commencer, félicitations pour ton titre de Champion de France de torréfaction 2025. Comment te sens-tu, quelques semaines après ta victoire ?

Merci ! Pour être honnête, je récupère à peine,… Même avec une vraie préparation physique et mentale, un championnat ça t’épuise. Mais bon, la fierté prend le dessus : cette première place, c’est une concrétisation de mon travail pour moi, mais surtout pas une fin. Comme on se le disait entre compétiteurs avant et pendant : « Cette année, il y avait du monde… et pas venu pour rigoler ! » Et ça rend la victoire encore plus belle.

Naturellement, j’ai envie de savoir ce qui a, pour toi, fait la différence entre ta 3ᵉ place en 2024 et ton titre en 2025. Qu’est-ce qui a changé dans ton approche cette année et comment expliques-tu cette progression de deux places alors que le niveau des participants était tout aussi élevé ?

Je suis pas du genre à passer des heures sur mes feuilles de score ou à décortiquer celles des autres. Cette année, c’était simple : on était sur les règles mondiales, donc moins de temps pour réfléchir. Et là, mon vrai atout, c’est l’instinct et ma capacité à prendre des décisions rapides – sûrement un reste de mon passé sportif. J’ai décidé de jouer le jeu à fond sur le roasting plan, quitte à me compliquer un peu la vie en cuisson. Et puis j’ai vraiment performé sur le tri du café vert, ce qui n’est pas toujours mon point fort. J’étais rincé, je passais en fin de journée vers 19h30, on avait une heure pour analyser, trouver les défauts, trier… Je l’ai fait en 32-35 minutes. Et comme j’étais crevé, j’ai pas trop réfléchi : j’ai bossé à l’instinct, et ça a payé.

Comment concilies-tu ton rôle de formateur/consultant avec ton ambition en compétition ?

Franchement, ça se complète parfaitement. Former les autres, ça m’oblige à rester clair, précis, à jour. Le côté consultant me force à capter plus vite les problèmes et à trouver des solutions efficaces. C’est exactement le même mindset qu’en compétition. Déjà à l’époque de mon BTM chocolaterie, j’avais compris que j’étais à l’aise dans les cours de résolution de problèmes. Aujourd’hui, ça se traduit par une capacité à décider quasi instinctivement. Et puis, être coach ou faire partie d’une team pour préparer un championnat, ça change tout. Tu bosses pour quelqu’un d’autre, tu anticipes, tu gères la pression en collectif… Ça te donne une vision plus large, ça t’apprend l’écoute et la remise en question. Et au final, ça renforce ta propre préparation.

Tu es aussi co-créateur de la torréfaction Fève et tu as donc toi-même des centaines d’heures de torréfactions pour produire et vendre des cafés façonnés à ta manière. Peux-tu dire que tu as mis une « patte Fève » dans ce championnat, ou dirais-tu à l’inverse que tout repart de zéro (notamment car on ne choisit pas ses cafés lors d’un championnat) ?

Oui, forcément. Avec mes deux potes Paul Belgram et Ivan Carel, on a lancé Fève à la base un peu pour rigoler, avec l’idée des cafés aromatisés naturellement aux épices – « fève épice ». C’était en 2019, l’année où je fais 4ᵉ à mon premier championnat, aidé par Didier Chevalot… qui deviendra ensuite notre président associé. Et depuis, j ai accumulé des milliers d’heures derrière le torrefacteur – je crois qu’on en est à plus de 21 000 broches ! Donc oui, il y a une approche Fève qui transparaît, parce que c’est mon ADN : ma vision, ma passion. Mais en championnat, c’est quand même différent car il faut s’adapter au jury. Disons que j’ai fait du Jonathan, et donc forcément un peu de Fève.

En deuxième place, on retrouve une nouvelle fois Dajo Aertssen, lui-même coach de Mikael pour les Mondiaux,… En fait c’est un microcosme la torréfaction de compétition en France, non ?

Oui et non. En qualifications, on était une trentaine, puis les 15 meilleurs passent selon le process de qualification . C’est vrai qu’on se connaît presque tous, beaucoup avaient déjà fait podium ou même gagné ailleurs. Mais chaque année, tu as aussi des nouveaux qui débarquent, avec une vraie envie de performer. Et puis, pour moi, l’une des vraies raisons de participer, c’est l’échange. On est tous planqués dans nos labos la plupart du temps, donc ces moments de partage, ça compte. Cette année encore, retrouver Dajo sur le podium, c’était fort : c’est un pote, un « concurrent » sérieux. Je lui avais même dit lors de nos entraînements en Italie chez Petrocini que je le voyais favori. Lui comme d’autres sont de vrais grands pros.

Sans oublier Juliette Champenois, première femme — et certainement pas la dernière — à monter sur le podium depuis que la SCA et le Collectif Café collaborent pour cette compétition.

Revenons au cœur de la compétition. Raconte-nous les différentes étapes et la manière dont tu les as appréhendées : la découverte du vert et les café à disposition, l’élaboration des profils, le check de la qualité,…

Cette année, j’avais bossé différemment : j’ai goûté plein de cafés d’importateurs variés, fait des fiches de roasting plan, classé par pays. Comme ça, j’étais prêt à m’adapter. Le jour J, j’ai adoré le format : cafés donnés la veille, entraînement direct sur un Link (matériel que j’ai à la maison et que je maîtrise bien). C’était proche des règles mondiales : torréfier et goûter 30 minutes plus tard. Ça, je le fais déjà chez Fève, donc gros avantage.

Les cafés :

  • ⁠Single : un Éthiopien qui m’a rappelé un café déjà dégusté avec mon coach Sébastien Mauer.
  • Blend : un Brésil naturel (très fermenté en cup), un Honduras lavé et un Honduras naturel. J’ai choisi 80 % Brésil, 10-10 % Honduras. Pas le choix le plus facile, mais je voulais marquer les juges, pas jouer la sécurité. J’ai appris cela de mon coach de dernière minute qui m’a repoussé dans mes retranchements… un grand merci a lui !

En cuisson… là, c’était sport. Je passais en dernier, et les machines avaient tourné cinq heures de plus que la veille. Tout était en surchauffe : 240 °C au grain, 370 °C à l’exhaust air. à l’entrainement. Impossible de coller à mes courbes prévues. J’ai pris la machine : gaz à zéro, air à 100 %, et pourtant rien ne bougeait. Grosse galère. Première broche : cramée d’entrée, trop de chaleur, j’arrête direct. Je prends 5 minutes pour souffler et réfléchir. Et là, coup de lucidité : je pense à quelques choses que j ai appris de mes nombreuses heures d’expérience sur des torréfacteurs électriques. Je joue sur la rotation du tambour, je baisse les RPM… et d’un coup la température commence enfin à descendre. Je relance ma deuxième (et dernière) broche de single. Là, je me cale à l’instinct, en bossant à l’inverse de tout ce qu’on apprend : démarrage sans gaz pendant 4 min 40, profiter de l’inertie du tambour, puis jouer sur les RPM pour créer convection et inertie , et enfin une toute petite montée de gaz pour finir la broche en 8 minutes. Et ça a marché : j’ai réussi à coller à ma courbe d’entraînement “shadow”.

Pour le blend, pareil : toujours avec les RPM. Mais je n’ai pas refroidi le café sorti du torréfacteur pour rattraper le sucre que j’ai perdu du à une cuisson plus convective.

Finalement, c’est ça la compète : analyser, t’adapter, réagir en live.

Nos lecteurs les plus techniques voudront savoir : quel torréfacteur était à ta disposition ? Avais-tu déjà travaillé dessus par le passé ? Je sais que cela peut faire une énorme différence entre deux compétiteurs.

On avait le Petroncini et le Link. J’étais même parti m’entraîner en Italie exprès pour bien comprendre le software du Petroncini. Je savais très bien qu’à Paris, le jour J, le setup serait totalement différent : extraction, gaz, installation d’un tueur de fumée… bref, tout avait changé, il fallait tout réapprendre en live. Le Link, par contre, c’est ma machine de tous les jours. Je l’ai chez moi, donc je le connais par cœur. C’est un vrai bijou pour analyser vite les cafés, super utile en compètition. Là-dessus, je savais que j’avais un avantage.

Avec du recul, qu’aimerais-tu améliorer pour les Mondiaux ?

Pour être franc, j’ai pas encore réfléchi en détail. Heureusement, c’est en juin, donc j’ai un peu de temps. Mais j’ai déjà pris une décision : monter une vraie team autour de moi. Un coach, une personne pour l’intendance… Bref, un entourage solide et positif pour que je sois focus uniquement sur la compète.

Prochaine étape donc et non des moindres : les Championnat du Monde de torréfaction en Juin 2026 à Bruxelles, avec la pression supplémentaire d’égaler la performance historique de Mikael Portannier en 2025… Comment te projettes-tu sur cette échéance internationale ?

Franchement, aucune pression par rapport à Mika. Ce qu’il a fait, c’est exceptionnel, magique. Bien sûr que ça me fait rêver d’égaler ça, mais il faut rester lucide : il y a toujours une part de chance le jour J. Après, il ne faut pas se mentir : je ne vais pas là-bas pour faire de la figuration. La compète, c’est dans mes veines. Et en plus, Bruxelles, j’adore cette ville, et parler français là-bas, ça m’aide aussi.

Mikael me disait qu’il y a un profond respect entre compétiteurs des différents pays, chacun sachant la complexité et la technicité requises par cet artisanat qu’est la torréfaction. Toi qui est multi-casquettes, comment vois-tu la torréfaction de café ? N’est-ce pas finalement le métier du café le plus noble ?

Si je suis honnête : pour moi, le métier le plus noble, c’est celui des fermiers et des process. C’est eux qui font qu’un café est bon ou pas. Le torréfacteur, ce n’est pas un magicien. On ne crée pas des notes, on les révèle. Notre job, c’est de respecter leur travail, de le sublimer. Un de mes rêves, d’ailleurs, c’est de faire comme mon pote Marco de Sousa Rosa : processer mes propres cafés, passer du temps en ferme, avec les agriculteurs. C’est eux, les vrais héros du café.

As-tu des projets pour le futur ?

Oui, absolument. Avec mon ami et confrère Antoine Perron – c’est d’ailleurs le premier torréfacteur qui m’a ouvert les portes à l’époque d’Esperanza, quand j’étais en reconversion – on travaille sur un gros projet. Antoine est aujourd’hui formateur et coordinateur SCA France Éducation, et on veut monter ensemble une école dédiée à la torréfaction et au sensoriel. En plus, on réfléchit à créer à Paris un atelier collaboratif de torréfaction, un incubateur pour les jeunes torréfacteurs : un lieu ouvert, pour s’entraîner, échanger, progresser et soutenir les torréfacteurs de demain. On veut vraiment filer un coup de main à cette 4ᵉ vague qui arrive, avec ses nouvelles idées et sa vision différente du café.

Retrouvez toutes les informations sur Jonathan Le Pautremat via le site JLP Consulting.

You may also like