Cacao de spécialité, chocolat de spécialité, cacao premium,… Voilà autant de termes qui seront davantage utilisés dans les mois et années avenir. En cause, l’intérêt grandissant des torréfacteurs de specialty coffee pour ce cousin gourmand, qui partage de nombreux points communs avec le café sur la chaîne d’approvisionnement et de production.
Nous avons échangé avec Christian Duperrier, fondateur de la torréfaction Shoukâ, l’une des seules enseignes françaises à produire son propre chocolat issu de cacao de spécialité, en sus de sa gamme de café.
Bonjour Christian. Avant de plonger dans le dur du sujet, peux-tu nous faire un bref historique de Shoukâ, et notamment revenir sur les étapes importantes de l’évolution du « torréfacteur d’altitude » ?
L’aventure du Shoukâ a débuté en Mai 2020 avec l’acquisition d’un local historique situé dans l’hypercentre de Chamonix et dénommé Le Choucas. Avant cette date, Nathalie et moi, avions découvert le café de spécialité et le chocolat en « bean to bar » au cours de nombreuses excursions sur New York et plus spécifiquement à Brooklyn. C’est effectivement là que nous avons découvert les MAAST Brother pour le chocolat et Brooklyn Roasting Company pour le café. Depuis la vente de nos magasins SUPER U en 2017, la « miniaturisation » et la « relocalisation » de l’industrie agroalimentaire nous fascinaient et nous étions très motivés à trouver un projet dans ce sens. La taille et la qualité de construction du Choucas a été le déclencheur du « pourquoi pas les 2 ».
C’est donc dans ce sens que nous avons commencé à nous former auprès d’acteurs existants en France, de livres ou tout simplement en faisant du chocolat dans notre cuisine ou en torréfiant des échantillons de café avec un IKAWA. Malgré le COVID, nous avons décidé d’ouvrir en février 2021 avec déjà une quinzaine de collaborateurs. C’était un sacré pari, mais nous nous étions prêts à nous donner les moyens pour réussir. Malgré des périodes de confinement difficile à gérer sans aide, le magasin a vite trouvé son public et aujourd’hui en 2022 nous ne cessons de progresser que ce soit en café, en chocolat ou au coffee shop. On peut qualifier notre ouverture de succès que ce soit au niveau du chiffre d’affaires ou de la marque Shoukâ.
Vous faites partie des rares torréfactions de café qui produisent également leurs propres chocolats. Quelle a été la motivation derrière ce choix, et pourquoi ne pas avoir emprunté le chemin plus traditionnel de simplement revendre du chocolat ?
Comme je l’évoquais dans la première question, la taille de notre local nous semblait suffisamment adapté pour faire les deux. Comme c’était quelque chose de rare, voire unique en France, on s’est vraiment dit « allons-y ». De plus, notre réflexion stratégique était de positionner notre marque autour de la torréfaction et avant d’être une boutique, faire découvrir celle-ci à nos clients. De plus, le marché du café et du chocolat sont très proches :
- La matière est produite entre les 2 tropiques dans des pays en voie de développement que nous, occidentaux, regardons avec peu de considération.
- Chaque marché est dominé par 3 industriels en BToC ou en BtoB.
- Les produits vendus sont industrialisés et fortement standardisés en prenant soin d’oublier les racines agricoles.
En se concentrant, pour le cacao comme sur le café, sur les terroirs, nous avions un boulevard pour construire les valeurs de notre marque autour de la transparence, l’authenticité, la nature, la curiosité et la convivialité.
Travailler en même temps le cacao et le café était non seulement un challenge stimulant, mais surtout l’opportunité de renforcer notre marque Shoukâ et mettre en avant notre différenciation.
Justement, les lecteurs de Café Mag connaissent désormais parfaitement les étapes de la torréfaction de café… mais probablement moins celle du cacao. Concrètement, comment torréfie-t-on du cacao ? Utilise-t-on par exemple les mêmes machines et la même notion de « courbe de cuisson » ?
On peut utiliser les mêmes types de machines mais pas la même machine car les odeurs pourraient se transmettre entre le café et cacao.
Cependant il faut comprendre que les objectifs ne sont pas identiques car si le grain de café vert est peu aromatique la fève de cacao crue l’est particulièrement. Pour le cacao, la torréfaction a pour objectif d’assainir la fève et d’affiner ses qualités organoleptiques. Il existe du chocolat cru, ce qui n’est pas imaginable pour le café ! C’est pourquoi la torréfaction de cacao est plus douce et plus linéaire, ce qui nous permet de les réaliser dans un four classique. Il faut juste s’assurer que la température soit bien homogène partout.
Entre toutes ces machines et ces process,… comment se passe l’organisation chez Shouka ? Vous avez des torréfacteurs et des équipes (achat de vert, commercialisation,…) différentes pour le café et le cacao, ou sont-ce les mêmes personnes ?
Nous souhaitons avoir une organisation assez simple et directe dans lequel chaque acteur fonctionne avec le maximum d’autonomie en relation avec Nathalie pour le chocolat et moi pour le café. Nous avons donc un responsable pour la torréfaction qui pilote le pôle café, du sourcing jusqu’à la vente et son équivalent en chocolaterie. Autour de ces deux employés, on trouve une équipe de baristas et une équipe de vente pour laquelle nous veillons à la polyvalence, même si chacun peut avoir plus d’intérêt pour un pôle.
En ressources, nous avons une responsable communication, une personne pour les réseaux sociaux et un collaborateur spécifiquement dédié à la commercialisation BtoB.
Une notion me semble par ailleurs très importante à définir : parle-t-on de « chocolat de spécialité » ou de « cacao de spécialité » ? De fait, comment situerais-tu l’état du marché mondial d’une part, et d’autre part plus spécifiquement en France ?
Il n’existe pas dans le cacao d’association comme la SCA (Specialty Coffee Association). On parle en interne plus de cacao premium, mais le sens est le même que celui de café de spécialité.
Dandelion est la société pionnière du bean to bar nouvelle génération. Leur idée était la même que pour la SCA, c’est-à-dire créer une filière chocolat où le terroir, l’arbre ou les producteurs seraient reconnus à leur juste valeur dans la qualité du produit final. Le succès de Dandelion et de la génération qui a suivi aux États-Unis puis en Europe ou en Asie a fortement contribué a créer une filière d’approvisionnement spécifique ou les critères de rémunération, de transparence et de qualité sont fortement pris en compte. De notre côté, nous nous sommes appuyés sur un seul sourceur, SILVA CACAO, car nous avions confiance en eux et cela contribue à créer une relation forte. Cependant, il y a aujourd’hui de plus en plus d’acteurs qui arrivent sur le marché. Belco vient d’ailleurs de créer il y a un an sa propre filière.
Dans ce concept « bean-to-bar » arrêtons-nous sur la première étape (élargie) : le sourcing et l’importation. Comment se passe la sélection du cacao, son achat, son exportation vers la France,… ? Existe-t-il par ailleurs des différences avec ce qui se pratique pour le café de spécialité ?
Nous sélectionnons nos fèves de cacao et nos grains de café à travers les échantillons que nous recevons. Nous travaillons 6 différentes origines en fèves de cacao. Nous avons eu l’occasion de tester chacune d’entre elles (et d’autres aussi) au travers de petite production effectuée dans notre cuisine. Pour l’origine des fèves et la logistique, nous nous sommes concentrés sur une seule entreprise (voir plus haut) car si cela limite notre choix, nous avons pu créer une relation de confiance.
La démarche est proche de ce que nous faisons en café de spécialité bien qu’il soit plus facile de changer de source d’approvisionnement en café. Torréfier du café reste plus simple et moins long que de fabriquer une tablette de chocolat.
Niveau producteur de café, le summum de la qualité est atteint dans des pays comme le Panama ou l’Éthiopie. Qu’en est-il du chocolat ? Où se trouvent les producteurs réputés et quels en sont les raisons (géographiques, climatiques, process particuliers,…) ?
Il est très facile dans le chocolat de mettre l’appellation Grand cru, car aucun organisme ne le réglemente. Chaque fabricant a donc la liberté de s’inventer un grand cru. Cependant, un seul chocolat semble faire l’unanimité. Il s’agit du Chuao du nom d’un village vénézuélien. Ce village bénéficie d’un écosystème ultra-protégé ou les cacaoyers ont pu se développer de façon naturelle leur donnant un caractère unique. Au Shoukâ, nous avons la chance de travailler deux millésimes de Chuao en 2018 et 2020.
En dehors de ce village, l’important est d’avoir un terroir adapté, des cacaoyers soigneusement sélectionnés pour leur potentiel aromatique, poussant à l’ombre, associé à une fermentation maitrisée et de qualité. Les « grands crus » de cacao peuvent ainsi être présents sur tous les continents où les cacaoyers poussent.
On le sait, le café est largement entaché par le C-market et les nombreuses histoires autour du café industriel. Est-ce pareil pour le cacao ? Et quelle est votre vision et vos actions, notamment auprès des producteurs, pour un prix plus juste ?
Le marché du cacao est dans une situation encore plus catastrophique que celle du café. 63% de la production vient de Côte d’Ivoire et du Ghana où les prix sont au plus bas et la situation des producteurs proche de l’émeute. Malheureusement dans le « mass market » rien n’est fait pour mettre en avant la qualité des fèves de Cacao. Souvent, celle-ci est perçue comme un ingrédient comme un autre, au même titre que le sucre ou la lécithine.
Ceci est vrai non seulement pour les industriels mais aussi pour les « artisans chocolatiers » qui préfèrent de loin mettre leur ego en avant plutôt que le nom des producteurs de fève à l’origine de leur produit. C’est comme si Pinault avait décidé d’appeler le Château Latour, le « Chateau Pinault » !
Notre vision consiste donc à considérer que nos tablettes sont de qualité, tout autant par la qualité des fèves de cacao que nous sélectionnons, que par la qualité de fermentation de nos producteurs ou le travail de transformation de la fève en tablette dans nos ateliers. Nous ne serons jamais la chocolaterie Duperrier, mais toujours la manufacture de cacao Shouka.
Parlons maintenant de la sélection en elle-même et de votre catalogue. Quand on veut proposer une large gamme de chocolat de spécialité, sur quels critères se base-t-on : la provenance ? Les notes de dégustation ? Un type de torréfaction particulier ?
Nous souhaitons monter grâce à nos tablettes la diversité aromatiques des fèves de cacao en fonction de leur origine. C’est pourquoi lors de notre sélection, nous avons cherché à trouver des fèves cacao ayant toutes un profil organoleptique différent et une grande diversité géographique (3 continents). Notre torréfaction est à basse température (environ 115°) pour ne pas altérer leur qualité intrinsèque. Cela suppose de trier attentivement nos fèves avant la torréfaction pour s’assurer que rien ne viendra modifier le goût.
L’association café et chocolat est une habitude bien ancrée dans nos traditions. Composez-vous également vos gammes (café et chocolat) pour qu’elles puissent s’associer, ou cela est finalement au goût de chacun ? Ou peut-être n’est-ce finalement pas conseillé de manger l’un en buvant l’autre, pour mieux en apprécier la qualité ?
Le café et le chocolat sont deux produits qui se ressemblent non seulement pour leur origine géographique, mais aussi par leur intensité aromatique, leur amertume ou leur acidité (quand on n’a pas cherché à l’effacer). Les marier lors de leur dégustation a donc tout son sens, mais nous n’avons pas de démarches précises dans ce sens. En revanche, il nous a semblé légitime de les associer au travers de nos produits. C’est pourquoi nous avons créé dès notre ouverture une tablette de chocolat au café de spécialité et des grains de café de spécialité enrobés de chocolat. Ces deux produits font le bonheur des amateurs de chocolat, de café et des produits ayant du caractère. Plus récemment, nous avons développé notre gamme de café de spécialité à croquer, car nous estimons être les plus légitimes sur ce marché.
J’insiste sur la notion de « café de spécialité » à croquer car nous souhaitons que ces produits soient reconnus pour leur intensité et non uniquement pour le coté gourmand, d’où notre choix de ne pas ajouter trop de sucre.
Comme tu le dis, il existe désormais une alternative entre le café et le chocolat, qu’on appelle communément le « café à croquer » – ou chez Shouka, le « Kroc Café ». A quel marché est-ce destiné ? Attirer les amateurs de chocolat vers le café, ou vice-versa ?
Le Kroc café ou Kroc Cappuccino sont 2 produits à base de café et non de cacao. Le beurre de cacao sert uniquement à la solidification et à fluidité dans la bouche. Ils sont donc destinés avant tout aux amateurs de café. Notre souhait était de proposer 2 produits innovants, imaginés dans nos ateliers, avec nos recettes intenses et limitées en sucre dans la tradition des produits Shoukâ.
En guise de conclusion, et pour aider nos lecteurs à faire un choix, peux-tu nous parler d’un café de spécialité que tu aimes en particulier, ainsi que d’un chocolat de spécialité ?
Pour le café, mon choix se porte sans hésiter vers le Papayo d’Andres Guaca. Au-delà de la qualité et la richesse aromatique de ce café (que j’adore déguster en Chemex), j’aime l’histoire derrière ce producteur. Il vit dans une région éloignée et difficile (ex-territoire des FARC) ; avec l’aide d’un importateur, il a mené ces dernières années une politique d’amélioration de la qualité qui lui a permis de valoriser sa modeste production et aujourd’hui d’en vivre décemment avec sa famille.
Il représente aussi l’avenir de la production de café en explorant et innovant autour de la caféiculture (fermentation naturelle en anaérobie…) ce qui laisse imaginer un bel avenir pour le café de spécialité.
En chocolat, la logique serait de mettre en avant notre Tanzanie 70% qui est de loin notre chocolat avec le plus de caractère. Cependant, ma préférence va vers la tablette Chocolat Lait 53% avec grué de cacao. J’aime la douceur du chocolat lait, mais j’ai toujours été frustré du manque d’intensité et l’excès de sucre des tablettes du commerce traditionnelle.
Avec 53% de Cacao, nous sommes dans le domaine du « Dark Milk » celui ou la fève reste le premier ingrédient. De plus, le grué de cacao amène un surcroit d’intensité qui équilibre la douceur du lait. C’est enfin une recette à la fois simple et originale, complètement en phase avec les valeurs du SHOUKÂ et surtout éloignée de l’artificielle sophistication du monde du chocolat.
Retrouvez les cafés et chocolats de spécialité de Shoukâ sur leur site officiel.