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Café et gastronomie : quand le café de spécialité s’invite au restaurant

Fermez les yeux. Non ! Ne les fermez pas ! Vous ne pourrez pas lire ce qui suit !

Prise 2 : Gardez les yeux ouverts, mais imaginez-vous attablé à votre restaurant préféré.

Mieux ! Imaginez-vous au restaurant de vos rêves gastronomiques les plus fous ! Les plats, les bouchées et les verres se succèdent en une farandole d’arômes, de couleurs, de formes et de textures ; les combinaisons vous surprennent et éveillent vos sens comme rien d’autre auparavant ; vous vous retrouvez enivré par cette expérience totale qui suscite tous vos sens, toutes vos papilles et chacun de vos pores. Vous comprenez pour la première fois de votre existence le sens du terme « délice ».

Les plats se suivent, mais surtout se répondent par des notes à la fois subtiles et harmonieuses. Chaque bouchée se savoure longuement, tout comme les alcools parfaitement agencés, et vous espérez que ce voyage ne s’arrête jamais. La fin inéluctable arrive pourtant et vous regardez tristement l’assiette évidée dans laquelle reposait quelques instants plus tôt un dessert — que dis-je — un chef-d’œuvre ! Vous vous consolez en attente de la touche finale : le café qui viendra clore cette douce décadence.

BAM. Vous vous réveillez subitement. Terrrrrrminus. Tout le monde descend !

On vous apporte une tasse avec un liquide brunâtre, certes, mais vous n’êtes pas certain que l’extraction qui vous est présentée soit digne de ce qui a précédé. Vous vous risquez, néanmoins, de bonne foi que vous êtes, à une gorgée.

Re-BAM ! OUCH ! BIM ! BOUM ! POW! Ça fait mal. Ça décoiffe et ça réveille.

Alors que vous avez été bercé pendant 1 h, 2 h, peut-être même 3, vous vous retrouvez brusquement ramené à la réalité : pour ce repas fantasmagorique, le café de spécialité n’a pas été invité à votre table.

Il est d’usage de comparer le café de spécialité aux grands crus pour introduire le sujet aux néophytes ou aux récalcitrants. Bien sûr, il existe des points de ressemblance incontestables entre ces deux catégories de boisson : l’importance accordée à la matière première, son traitement, les termes employés pour décrire les arômes et les saveurs lors de la dégustation, etc. Si la comparaison est d’usage, dans l’usage, la comparaison ne tient pas.

Alors que la place des grands vins — et par extension de la profession de sommelier — est acquise et confirmée dans toute institution gastronomique digne de ce nom, celle des grands cafés — et par prolongation du rôle de barista — ne l’est malheureusement pas…souvent. Pourquoi ce retard d’intégration du café de spécialité dans l’expérience gastronomique en France ?

Si on voulait être cynique, on pourrait dire d’emblée que de poser la question est d’y répondre. Que déjà, la place du café de spécialité en France est toujours à gagner – rappelons que dans ce pays où plus de 90 % de la population consomme du café, classée que 2e boisson plus populaire après l’eau – le café de spécialité représente moins de 5 % du marché1. On pourrait ajouter que la tradition du café dans laquelle s’inscrit la France se distingue de celle des pays anglo-saxons qui, à l’instar de l’Angleterre, de l’Australie ou même des États-Unis, ont développé un véritable culte au café Third Wave. Ou encore qu’on ne puisse pas être partout : qu’ici les vins, déjà partie prenante de l’institution culinaire et des mœurs, font l’objet de véritables recherches et expérimentations et basta ! Pourtant, dire tout cela c’est encore ne rien dire et c’est, nous semble-t-il, esquiver la question : Pourquoi ce retard d’intégration du café de spécialité dans l’expérience gastronomique en France ?

Cette question délicate et d’actualité était au cœur de la discussion intitulée « La place du café dans un repas : deux chefs livrent leurs points de vue » présentée lors du plus récent Paris Coffee Show2. L’échange entre Pierre Hermé et Grégory Marchand initiée par l’organisation du Paris Coffee Show était animé par Hippolyte Courty.

Crédit photo : Collectif Café

Afin de vous mettre en contexte (si besoin) Pierre Hermé est un chef pâtissier-chocolatier sacré meilleur pâtissier du monde en 2016. Ses pâtisseries, dont ses fameux macarons, sont vendues à travers le monde dans plus d’une trentaine de boutiques situées sur 3 continents. Il collabore depuis plusieurs années avec l’Arbre à café, maison de torréfaction fondée en 2009 par Hippolyte Courty et située à Paris, dont les cafés sont présentés sur la carte de l’espace café et restaurant sous forme de boissons chaudes, mais aussi en cocktail, dont un moka-martini. Quant à lui, Grégory Marchand, chef derrière les restaurants et bar à vins Frenchie, collabore avec Lomi, une autre maison de torréfaction parisienne fondée en 2010 par Aleaume Paturle et Paul Arnephy.

Cette mise en contexte met en évidence que l’échange prenait davantage des allures de consensus entre trois férus de café de spécialité que d’un véritable débat. Personne ici pour expliquer pourquoi le café ne s’invite pas si souvent au restaurant. Les trois interlocuteurs ont, cependant, su mettre en lumière certains points cruciaux permettant de comprendre les facteurs favorisant l’intégration réussie — et les ratés — du café de spécialité au restaurant.

En rafale : l’importance d’un café qui ne vole pas la vedette, ni par des arômes trop intenses ni par un service trop spectaculaire ; le caractère incontournable de l’aspect pédagogique entourant le café de spécialité : savoir être fin stratège pour initier les clients néophytes ou les récalcitrants, utiliser les bons mots pour parler de café, simplement ; selon le niveau de connaissance et d’intérêt du client ; inclure le client dans le service de son breuvage en lui démontrant le mode d’extraction et le matériel utilisé ; savoir intégrer les breuvages lactés et les cocktails pour bonifier une carte, dans un esprit de démocratisation. En somme, le café c’est sérieux, mais sérieusement, à quoi bon se prendre la tête ? Mieux vaut un service simple, mais efficace qui saura gagner peu à peu la clientèle, qu’un jeu de cupping hermétique qui n’aura, finalement, pas le résultat escompté !

La conclusion est similaire chez les interlocuteurs interviewés pour l’article « Quelle place pour le café de spécialité au restaurant ? » paru en mars 20183. Presque tous s’entendaient déjà sur la pertinence, voire l’importance d’intégrer le café de spécialité au restaurant, tout comme le métier de barista duquel il est indissociable. Mais attention ! Toujours en privilégiant un langage simple et une approche accessible. Seule voix dissonante au tableau, qui nous permette d’effleurer une piste de réponse pour notre question de départ : le très tranchant Richard Toix, chef étoilé, qui affirme : « Je suis contre toutes ces modes, dit-il. On nous parle de cafés issus de hauts plateaux et de tout un tas de choses savantes, mais ça ne sert à rien. » M. Toix confirme ici l’importance d’une approche pédagogique pour introduire le café de spécialité et la force de la tradition. Notons qu’au moment de la publication de l’article, M. Toix est représentant depuis une dizaine d’années pour Lavazza.

La question du coût, nerf de la guerre, n’est pas inconnue à la réticence de certains acteurs de se tourner vers le café de spécialité, même si elle n’est que très rarement ouvertement nommée. Il faut creuser dans les réseaux du café de spécialité, s’entretenir avec plusieurs torréfacteurs des six coins de l’Hexagone pour mieux comprendre la situation. Ce qui ressort de ces échanges, c’est qu’actuellement en France, les gros acteurs du café-tout-court assurent leur pérennité en offrant aux restaurateurs la machinerie nécessaire pour extraire le café, des grains à prix plus que préférentiel et l’entretien de ladite machine, écrasant lamentablement toute concurrence qui ne saurait être un tant soit peu perspicace. Alors que certains ateliers de torréfaction de café de spécialité entrent peu à peu dans la cour des « grands » – pensons notamment à Coutume café qui vient d’être porté par un riche investisseur4 – rares sont les (micro) torréfacteurs de cafés de spécialité qui peuvent concurrencer avec les Lavazza, Nespresso et autres géants du café de ce monde.

Outre la question de l’argent, celle de l’éducation apparait également cruciale. En effet, s’il est acquis de payer une certaine somme pour des vins dits Grands Crus, il semble que l’investissement d’une fraction parfois infime de cette somme pour des cafés de très grande qualité ne va pas de soi. Le coût plus élevé du café de spécialité ne suffit donc pas à expliquer cette réticence des restaurateurs et des clients à choisir cette option qualitative.

Si (presque) tous les acteurs qui gravitent de près ou de loin dans le monde du café de spécialité s’entendent pour clamer haut et fort la nécessité d’éduquer la clientèle et les consommateurs de café, condition sine qua non d’une véritable reconnaissance du café de spécialité, force est de reconnaitre la pertinence d’intégrer cette question du café dans la formation même des acteurs du goût en France, aka les chefs cuisiniers, pâtissiers et sommeliers. En effet, comment peut-on espérer pénétrer institution si celle-ci se montre hermétique à l’intégration du café de spécialité au rang de ses objets ?

Reste, néanmoins, que si pour certains, le café de spécialité « ça ne sert à rien. », l’effet de mode décrié par ces mêmes récalcitrants est contestable. De plus en plus de restaurateurs outre-passe l’attrait de l’offre des grosses machines et leur formation professionnelle et accordent, par éthique, par véritable recherche gastronomique, par désir de faire autrement et par une collaboration durable, une place de choix au café de spécialité.

C’est le cas de Clément Richard et Maxime Bocquier copropriétaires et fondateurs du restaurant Meraki à Nantes. Pour Clément et Maxime, c’est une rencontre avec l’équipe de Cime Café – dont l’atelier-boutique est situé à quelques pas à peine du local des restaurateurs – qui a été décisive. Bien que Clément et Maxime se soient rencontrés à Melbourne (une des) Mecque du café de spécialité, c’est à Nantes qu’ils découvrent l’univers de la troisième vague.

Dans le cadre d’une entrevue qu’ils nous ont gracieusement accordée5, les deux restaurateurs affirment que : « le café est un produit encore trop souvent négligé, à tort, car il est bien souvent la dernière note du repas. » C’est pourquoi ils n’ont pas hésité une seconde quand l’équipe de Cime, dont le torréfacteur Greg Sarafian, les a contactés pour mettre en scène un café d’exception dont ils avaient l’exclusivité (vidéo).

« L’idée était de mettre en scène ce café dans une recette et d’y retrouver ses caractéristiques. Nous avons ensemble dégusté puis décidé de retransmettre les différentes étapes de dégustation dans une recette, cupping, infusion à froid, espresso… L’idée du silure, ce poisson bien nantais, comme support était là pour accompagner et mettre en texture le café. »

C’est ici que les restaurateurs nantais innovent : au-delà d’un ajout du café à leur carte ou même de son utilisation dans un dessert ou une sauce, c’est une véritable recherche esthétique misant sur l’expression des caractéristiques fondamentales du café qui est proposée chez Meraki.

Bien qu’il soit toujours marginal de savourer un excellent café bien extrait au restaurant, les associations entre les restaurateurs et les ateliers de torréfactions sont de plus en plus communes. De plus, comme le soulignent Clément et Maxime de Meraki : « [dans les établissements contemporains] les restaurateurs sont à la recherche d’une harmonie sur l’ensemble du repas. La qualité du produit, la transparence sur le sourcing peut aller jusqu’au café en jouant également sur la saisonnalité. » À se fier aux dires des deux restaurateurs, les fins palais peuvent donc compter sur une conscience accrue des chefs contemporains pour rendre au café la place qui lui revient.

Et vous, cher passionné de café, parce que vous l’aimez d’amour ce café de spécialité et que « Persévérance » est votre deuxième nom, vous poursuivrez votre quête d’un repas qui vous fasse planer de A à Zzzz. Votre aventure ne sera pas dénuée d’embuches ni de déception. Non ! Mais vous trouverez. Oh oui ! Et surtout, vous demanderez. Parce que le client est (presque) toujours roi, il faut oser demander.

À propos de l’auteure :

Gabrielle Gosselin-Turcotte est passionnée de café et de gastronomie. Formée en histoire de l’art et en torréfaction, elle s’intéresse aux enjeux esthétiques et pratiques posés par les expériences esthétiques contemporaines. Co-fondatrice de l’entreprise Torres – coureurs de cafés, elle a à cœur la démocratisation du café de spécialité. Elle vit quelque part dans les montagnes françaises.

Références :

1 Beghelli, Sébastien, « La France et le café de spécialité », https://www.cafemag.fr/2019/05/23/la-france-et-le-cafe-de-specialite/, [en ligne], 23 mai 2019.

2« La place du café dans un repas : deux chefs livrent leurs points de vue » : discussion entre Pierre HERMÉ et Grégory MARCHAND, animée par Hippolyte COURTY de l’Arbre à Café, s’est déroulée de 10 h à 10 h 45 dans l’espace conférence le samedi du 11 septembre 2021, au parc Floral à Paris.

3LECOQ, Bruno, « Quelle place pour le café de spécialité au restaurant ? », https://monde-grands-cafes.fr/, [en ligne], 13 mars 2018

4Entrevue menée par François-Régis GAUDRY avec Tom CLARK, fondateur du café Coutume, diffusée sur les ondes de France Inter le dimanche 26 septembre 2021. En 2020, le groupe Labruyère entre en tant qu’associé majoritaire, afin d’accompagner Tom sur développement de Coutume. https://www.franceinter.fr/emissions/on-va-deguster/on-va-deguster-du-dimanche-26-septembre-2021 [en ligne]

5L’entrevue avec Clément RICHARD et Maxime BOCQUIER du restaurant Meraki s’est déroulée par échange courriel entre le 8 et le 13 septembre 2021. Les deux acolytes ont généreusement accepté de répondre à mes questions.

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