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Du café de spécialité au Vietnam, vraiment ?

Saviez-vous que le Vietnam est le 2ème producteur mondial de café ? Si c’est nouveau pour vous, rien d’étonnant quand on sait que le café vietnamien est principalement utilisé pour les cafés instantanés, pour les mélanges des industriels et est victime du manque de transparence des cafés de commodité. Pourtant au Vietnam, la culture du café est bien ancrée dans les moeurs. Il est si facile de déguster du café à quasiment tous les coins de rues. Pourquoi donc ne retrouve-t-on pas le Vietnam sur la carte du monde des cafés de spécialité ? Pour traiter ce sujet, nous ferons un petit détour par l’histoire avant d’aborder la situation actuelle et future du pays. Pour être plus précis, nous y incorporons le témoignage d’experts au plus près du terrain.

La France et le Vietnam : une histoire caféinée commune

Il est admis que le café a premièrement était introduit au Vietnam dans le nord du pays, par un prêtre catholique français. C’était alors en 1857 et le but était de simplement satisfaire ses besoins personnels. Ensuite, c’est en 1897 que l’explorateur franco-suisse, Dr Alexandre Yersin, introduit le Bourbon Pointu originaire de l’île de la Réunion. Commence alors la culture de café dans la région des hauts plateaux à Dalat dans la province de Lam Dong. La culture s’y développa tout en restant faible en quantité. Pour un ordre d’idée, en 1986 le volume de production représentait seulement 300 000 sacs de 60kg. Cela représente l’équivalent de la production actuelle du Laos, autant dire un pays auquel on n’associe jamais au café.

Comment donc se fait-il que le Vietnam a réussi à produire 28,5 millions de sacs de 60kg en 2019 ?

Du tout au rien en un temps record

Le fait que le Vietnam est le 2ème producteur mondial est étonnant car cela s’est fait quasiment du jour au lendemain. Pour s’en rendre compte, sa part de marché est passée de 0,1% à 20% du total mondial en à peine 20 ans.

Credit photo : Gro Intelligence

La raison tient en un mot : sa stratégie. Le pays a misé sur une production économique avec des rendements élevés. Pour le comprendre, effectuons un retour en 1986. A l’époque, le pays a libéralisé son marché intérieur à travers les réformes appelées « Doi Moi ». Ces mesures politiques ont stimulé la production intérieure. En outre, le FMI, la banque mondiale et les multinationales ont encouragé cette production à faible coût afin de continuer à répondre à la demande mondiale toujours croissante.  La montée en puissance du Vietnam n’était alors pas sans conséquences. En 2001, vu la quantité de café présente sur le marché, le prix du café était au plus bas.

Aujourd’hui, la conséquence logique est que 97% du café produit au Vietnam est…du robusta. Sur le podium des producteurs mondiaux de robusta, le Vietnam tient la tête avec 60% du total mondial.

Le café au Vietnam…tout un art de vivre

Nous entendons souvent dire que les pays producteurs ne sont pas consommateurs de café. Alors que cette affirmation devient tout doucement fausse, elle l’est complètement pour le cas du Vietnam. La consommation du café est fortement ancrée dans la vie quotidienne. Les vietnamiens se retrouvent autour d’un café entre amis pour partager un bon moment dans ce qu’ils considèrent comme un « tiers lieux ». A tout coin de rue, il est possible d’en boire. L’expérience y est unique et vaut le détour : le nectar est extrait à partir d’un filtre particulier appelé le « phin ». Avec une mouture grossière qui fait écouler lentement de gouttes corpulentes.

Nam Nguyen est à la tête du Hanoi Corner à Paris, le seul coffee shop de spécialité en France proposant ce type d’extraction à l’heure actuelle. Il nous confie qu’il présente plusieurs avantages : « le premier avantage, le café servi devient une expérience à part entière. Voir le café s’extraire devant soi est un instant magique pour beaucoup. Deuxième avantage, cette expérience prépare mentalement à goûter à un café avec un goût différent. Troisième avantage, l’absence de papier en fait une méthode écologique. Autre avantage, on peut enchaîner plusieurs ‘hand brew’ et cette méthode est très stable ».

La prédominance du robusta de faible qualité ne doit cependant pas cacher une autre réalité. Une réalité bien plus réjouissante, celle de l’émergence de la 3ème vague.

Où en est le café de spécialité au Vietnam ?
Credit photo : Ben Miller

Non, ces notions ne sont pas antinomiques, il existe bel et bien du café de spécialité au Vietnam ! Plus étonnant encore, il est possible d’en dessiner un profil aromatique propre au terroir. Will Frith, à la tête de Building.co une entreprise de torréfaction collaborative à Saigon, nous partage ses notes communément admises. On peut y trouver des notes de prune, de pomme, de mélasse et même parfois du chocolat au lait et des noix grillées, le tout avec un corps moyen et une texture lisse pour les meilleurs lots.

Pourquoi donc ce pays est inexistant dans le monde des cafés fins ?

Le marché du café de spécialité au Vietnam est encore à ses débuts. La raison provient du fait que l’entrée du Vietnam dans le café de spécialité a été très tardive.

Selon Will Frith, le retard du Vietnam est aussi dû à multiples facteurs comme (i) la réputation. En effet, les vietnamiens ont gagné leur réputation par la production en quantité importante. Les fermiers ont l’impression de devoir produire autant de café que possible sans considération de la qualité.

(ii) Les incitations ne sont pas assez fortes pour l’instant. En effet, en lien avec le point précédent, le Vietnam a mauvaise presse à l’international. Bien que le prix du café de spécialité soit fixé hors de la bourse, la prime à la qualité reversée aux producteurs vietnamiens reste encore trop faible.

Enfin, (iii) le manque de soutien de la part d’institution freine ce rattrapage. Par exemple, en Colombie, la fédération existe depuis 1927 et permet de soutenir les efforts agricoles. Au Vietnam, il n’en est rien au vu de son jeune âge.

Malgré ces éléments, Will Frith pense que le Vietnam est capable de produire du meilleur arabica que celui au Brésil dans les prochaines années. De plus, Nam Nguyen nous indique que la communauté y est très jeune, très motivées et ouvertes ce qui en fait un terreau idéal pour l’avenir. Il nous indique que certains producteurs sont résolument tournés vers l’avenir avec des projets permettant vraisemblablement d’avoir des cafés notés 88+ (notation sur 100, rappel du fonctionnement ici).

Le futur justement, parlons-en avec nos deux experts.

Quel avenir pour le café de spécialité vietnamien ?

Autant Nam Nguyen que Will Frith sont confiants que le Vietnam rattrapera très vite le retard sur la scène internationale car tous les éléments sont déjà réunis pour y arriver rapidement. Will Frith nous détaille les facteurs présents au Vietnam et qui permettent au pays d’avoir une situation rare pour être un acteur déterminant dans le café de spécialité.

Premièrement, le pays dispose d’un climat idéal dans plusieurs provinces.

Deuxièmement, l’économie vietnamienne est très diversifiée comparé à d’autres pays producteurs. Les infrastructures sont modernes et le pays est habitué à exporter bon nombre de produits agricoles donc beaucoup de prestataires spécialisés existent.

Troisièmement, l’émergence de la classe moyenne façonne le futur du café. Celle-ci développe de nouvelles habitudes de consommation et est prête à se tourner vers des produits « premium ».

Quatrièmement, en tant que 2ème producteur de café mondial, le Vietnam maîtrise toutes les étapes de transformation du café de l’arbre à la tasse. Si un barista ou un torréfacteur est suffisamment curieux, il est aisé pour lui d’aller à la rencontre des fermiers ou des processeurs. Nam Nguyen nous confirme sur ce point qu’il est facile de rencontrer les différents acteurs et que ces derniers partagent facilement les informations.

Pour conclure, tous ces éléments permettent de dire que dans les prochaines années des synergies et des innovations vont naitre au Vietnam. Le pays dispose de plus d’un tour dans son sac. Verra-t-on plus de café de spécialité vietnamien dans les coffee shops en France ? Seul l’avenir nous le dira.

Quelques exemples concrets de coffee shop pour voyager un peu !

Bosgaurus Coffee Roasters

Bosgaurus vous fait vivre une expérience avec son design minimaliste qui rapproche les baristas et les clients. Les champions baristas vietnamiens de 2016 et 2017 y travaillent.  

La Viet

Niché dans un ancien hangar, son décor industriel en vaut le détour. La Viet process aussi le café et il est possible de faire une visite de toutes les étapes de la ferme à la tasse.

The workshop

The Workshop est le premier coffee shop de spécialité à Saigon. Situé dans un ancien bâtiment restauré, on peut observer toute la préparation des baristas par son bar en îlot central.

Cet article vous a donné envie d’avoir plus de cafés vietnamiens en France ? Bonne nouvelle, il est possible de prolonger l’expérience avec le Hanoi Corner à Paris !